Sylvie Antoine / 49°36'08.43"N 154°24'45.20"O
«L’art soumet l’artiste à la vérité la plus humble et la plus universelle!» disait Camus. C’est au premier regard ce que déploie l’installation de Sylvie Antoine, de la banalité la plus ordinaire de nos emballages-déchets à la plus globale catastrophe écologique que laisse présager leur dispersion incontrôlée à travers la planète.
L’artiste renoue ici avec un de ses sujets privilégiés: la nature morte. La présentation sur tréteaux est en lien iconographique direct avec les grands étals galetteux des stillevens de Pieter Aertsen (1508-1575). Filiation symbolique aussi puisqu’est suggérée ici aussi la précarité des choses, fragilité de la Nature mise en danger par la cupidité des hommes. La durabilité (date de péremption) fugitive des nourritures terrestres autrefois signifiées dans les Vanités par la présence d’insectes nécrophages ou de fruits talés, est ici suggérée par cette multitude d’emballages à usage unique, dont les contre-empreintes sont les fossiles inertes de repas à obsolescence programmée. Groupés, ils évoquent l’immense vortex de déchets plastiques qui tournoie dans les eaux du Pacifique et que les écologues ont nommé «Septième continent».
Mais la plasticienne d’école formaliste ne tombe jamais dans un discours anecdotique qui pourrait éclipser le rigorisme volontaire qui sous-tend et structure l’ensemble de ses compositions. Hier, par exemple, en contre-pied aux peaux d’oranges, chefs-d’œuvre dérisoires et émouvants cités par Louise Bourgeois, apologues sensibles et bavards d’une jeunesse douloureuse, elle proposait des suites silencieuses et abstraites de «Peaux de mandarines», dont la beauté des formes uniques et improbables n’était le fruit que du pur hasard de l’action de peler. Cette passion pour «l’enveloppe» réalité visible et variable de l’objet, la lecture en série où chaque œuvre conditionne et présuppose les autres, ne sont pas sans liens avec les innovations esthétiques des «Meules» de Claude Monet (1840-1926).
Dans cette installation, la fascination pour l’infinie variété de formes rigoureuses de ces peaux industrielles, n’est pas absente de leur choix comme médium. Aucune préoccupation esthétique ou symbolique ne vient compromettre les deux compositions aléatoires sinon que, uniformisées sous forme de moulages de plâtre peints en blanc, sont évoquées les singularités et les pluralités de notre humanité.
Packagings dénués de la moindre pensée esthétique, ils n’ont comme seule fonction que celle de protéger et leurs structures ont été uniquement prévues pour résister à des sollicitations présupposées. Pour l’artiste, ils sont les contre-empreintes de nos fragilités hypothétiques, dans un monde sur et pré sécurisé, les sarcophages jetables de notre liberté.
Bernard Ponton, septembre 2014
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